Criar um Site Grátis Fantástico
Le Maître du jeu streaming 1440p

Déchirements autour du régime syrien

Le Hezbollah maître du jeu libanais

Avec le renfort des bombardiers russes, des conseillers iraniens et des combattants chiites libanais, l’armée syrienne a regagné du terrain avant le cessez-le-feu de fin février. En première ligne pour soutenir le président Bachar Al-Assad, le Hezbollah voit sa légitimité et sa position renforcées sur le plan intérieur. Désigné comme « groupe terroriste » par la Ligue arabe, il demeure pourtant très populaire dans les pays du Maghreb.

Le Hezbollah maître du jeu libanais

Marwan Naamani. – Portrait de Hassan Nasrallah lors d’une cérémonie à Dahiyeh marquant l’anniversaire de la guerre avec Israël, 2007

A chaque coin de rue de Dahiyeh, la banlieue sud de Beyrouth, et le long des routes de la plaine de la Bekaa, dans l’est du pays, les portraits de combattants morts en Syrie font désormais partie du paysage. Le Hezbollah paie un lourd tribut pour son engagement dans le conflit syrien. Derrière le comptoir de la petite boutique où elle travaille à Roueiss, au sud de la capitale libanaise, Mme Farah C. (1 ) garde précieusement une photographie de son fiancé, tué en 2014 dans la Ghouta, près de Damas. « Il partait se battre quinze jours en Syrie, puis il venait se reposer une semaine avant de repartir, raconte la jeune femme, enveloppée dans un long voile noir. Il avait souvent des problèmes aux yeux et aux oreilles à cause de la fumée et des bombardements. Il disait sentir toujours l’odeur du sang. C’était très dur, mais je n’avais jamais pensé qu’il pourrait mourir… » En tant que simple fiancée, elle n’a droit à aucune assistance, contrairement aux veuves de combattants, qui reçoivent une aide financière du parti. Son soutien au Hezbollah n’en est pas altéré pour autant. « Il y a beaucoup de combattants qui meurent ; rien qu’autour de chez moi, il y en a eu sept. Mais ils doivent protéger nos lieux saints, et, s’ils ne se battent pas, les takfiri (2 ) viendront attaquer les chiites au Liban. »

Voitures calcinées, vitrines pulvérisées, corps sans vie gisant au milieu d’une rue enfumée. le 12 novembre 2015, le double attentat kamikaze qui a touché le quartier de Bourj Al-Barajneh, à Dahiyeh, a été le plus meurtrier depuis la fin de la guerre civile libanaise, en 1990. Cette attaque n’a pourtant fait que rappeler à ses habitants que, au Liban, les fiefs du Hezbollah demeurent la cible privilégiée de l’Organisation de l’Etat islamique (OEI). Depuis 2013, les zones que contrôle le parti islamiste chiite à Beyrouth ou dans la Bekaa ont été le théâtre d’une dizaine d’attaques, dont certaines ont aussi été revendiquées par des groupes affiliés à Al-Qaida. Autant de représailles au soutien militaire qu’apporte le Hezbollah à l’armée syrienne, officiellement depuis avril 2013.

« La Syrie compte dans la région de vrais amis qui ne permettront pas que ce pays tombe aux mains des Etats-Unis, d’Israël ou des groupes takfiri », avait alors déclaré le secrétaire général du parti, M. Hassan Nasrallah, en faisant allusion aux rebelles sunnites qui avaient pris les armes contre les troupes du président Bachar Al-Assad. Il réaffirmait ainsi son soutien au régime syrien, qu’il considère comme l’un des piliers de l’axe de la « résistance » menée avec l’Iran contre Israël.

Intervenir pour défendre le « vrai islam »

Quelques jours plus tard, le Hezbollah s’engageait massivement dans la bataille de Qoussair, région de l’ouest de la Syrie frontalière du Liban, alors aux mains des rebelles. Cet engagement a provoqué un revirement majeur dans le rapport de forces, à un moment où les troupes loyalistes perdaient très nettement du terrain. Avec l’intervention du Hezbollah, la région de Qoussair a été reprise en moins d’un mois. Les vidéos de combattants en déroute, assoiffés et mangeant des pommes de terre crues, avaient illustré cette première défaite cinglante des rebelles.

« Au début de la contestation anti-Assad, les militants ne se sentaient pas directement concernés », explique Chiara Calabrese, qui travaille sur le Hezbollah à l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman (Iremam). Mais l’interprétation faite par le parti de l’enlèvement de pèlerins chiites libanais à Alep en 2012, les déclarations de certains membres de l’opposition syrienne hostiles au Hezbollah et les attentats de Dahiyeh ont créé un consensus très fort autour du parti. « Le Hezbollah a d’abord mis en avant la nécessité de protéger les lieux saints chiites, menacés ou détruits par certains groupes rebelles », poursuit la chercheuse, qui cite l’attaque contre la mosquée de Sayyida Zeinab, dans le sud de Damas, un haut lieu du chiisme qui abrite le mausolée de la fille du calife Ali et petite-fille de Mahomet. « Son intervention en Syrie est alors devenue une entreprise sacrée, visant à défendre ce qu’il considère comme le vrai islam, face aux groupes rebelles comme Daech. »

Un mécontentement discret, dont il est difficile de mesurer l’étendue, a tout de même grondé chez certains militants. En 2013, M. Ali M. ancien combattant dont le fils était alors en Syrie, pestait contre cette implication. « J’ai toujours soutenu la résistance à Israël, mais je ne vois pas en quoi le conflit syrien y est lié. » En 2014, la proclamation d’un califat par l’OEI après sa prise de Mossoul, en Irak, a mis un coup d’arrêt à cette timide protestation. La base du Hezbollah est désormais convaincue que la survie du mouvement dépend de sa capacité à aider le régime syrien à rester au pouvoir.

La cause suscite un fort engouement chez les jeunes chiites

Engagé en Syrie dès 2013, M. Ahmad B. songeait à arrêter de se battre, lassé de la guerre de positions sur la frontière. La violence de l’OEI l’a amené à revoir sa décision. « Nous devons absolument combattre le terrorisme en Syrie pour empêcher l’OEI d’attaquer le Liban. » Il martèle son soutien à l’Iran et à la Russie, seuls à ses yeux à lutter contre le « terrorisme » alimenté selon lui par la Turquie, les pays du Golfe, les Etats-Unis et Israël. « Le Hezbollah a réussi à associer l’OEI et Israël, analyse Calabrese. Cela a été clairement établi lors du raid sur le Golan en janvier 2015 (3 ) . en tuant ceux qui combattaient l’OEI, Israël est apparu comme une incarnation du même ennemi. »

Le soutien à l’intervention du Hezbollah en Syrie reste fort au sein de la communauté chiite dans son ensemble. Selon un sondage réalisé en 2015 par l’association Hayya Bina, dont le fondateur, M. Lokman Slim, est connu pour ses positions critiques envers le parti, 78,7 % des chiites l’approuvent. Les quelque 1 500 « martyrs » de cette guerre ne tarissent pas le recrutement. La cause suscite un fort engouement chez les plus jeunes. Selon un acteur du secteur culturel travaillant dans le sud du Liban, le manque de perspectives dans les fiefs du Hezbollah, très pauvres, la rend encore plus attirante. « Il ne faut pas oublier que le Hezbollah livre aussi un combat idéologique, ajoute M. Hussein M. du quartier Kanisse Mar Mikhael, aux portes de Dahiyeh. Les enfants peuvent participer aux camps scouts du Hezbollah, et, lorsqu’ils ont environ 16 ans, on leur donne le goût du combat. » Le parti représente aussi un moyen d’améliorer le quotidien. « Le Hezbollah mène la lutte par les armes, mais il recrute aussi des cerveaux. Il a besoin de personnes qualifiées. journalistes, ingénieurs…, poursuit le jeune homme, qui a perdu deux amis en Syrie. Il paie leurs études, puis il les emploie. » Même si la prolongation du conflit a contraint le parti à diminuer les salaires et les aides qu’il accorde à ses membres, il reste un débouché attractif dans un pays où le salaire minimum s’élève à 410 euros par mois et où l’économie parallèle compte pour 30 % de la production.

Exacerbation des tensions communautaires

Le Hezbollah tire sa légitimité d’un projet politique de résistance à Israël et à ses alliés qui mobilise au-delà des seuls chiites, surtout depuis la « guerre de trente-trois jours » de l’été 2006. Avec l’émergence de l’OEI, il a su renforcer cette tendance et se rendre indispensable. Il se présente comme le garant de l’intégrité des frontières libanaises face aux djihadistes. En octobre 2014, une attaque du Front Al-Nosra, lié à Al-Qaida, contre un de ses postes militaires dans le jurd de Brital, au sud de Baalbek, avait révélé que c’était bel et bien lui qui contrôlait certains tronçons de la frontière, et non l’armée. Une fois passé le dernier point de contrôle de l’armée, près de Nabi Sbat, seuls les combattants chiites circulent sur les routes tortueuses des montagnes de l’Anti-Liban pour rejoindre leurs positions, bien plus loin.

Cette collaboration avait déjà été pointée du doigt en juin 2013, lors de l’offensive du cheikh salafiste Ahmad Al-Assir contre l’armée à Saïda. Alors que plusieurs chars et systèmes de transmission étaient tombés en panne en plein assaut, le Hezbollah était intervenu. « Ses tireurs d’élite nous ont couverts », confie M. Imad K. soldat des forces spéciales libanaises qui a participé à la bataille. Un officier général à la retraite admet avec amertume. « Comment peut-on faire autrement . L’armée manque d’hommes et de matériel. » Qu’ils adhèrent ou pas au projet politique et religieux du Hezbollah, une partie des Libanais non chiites voient en lui la seule force capable d’arrêter l’OEI.

Dans ce contexte, la décision prise par l’Arabie saoudite, le 19 février, de suspendre son programme d’aide à l’armée libanaise et de récupérer le matériel d’un montant de 3 milliards de dollars (2,7 milliards d’euros) est lourde de sens. Le même jour, à Saadiyat, à vingt kilomètres de Beyrouth, des affrontements éclataient entre des forces sunnites et Saraya Al-Mouqawama, les « brigades de la résistance » liées au Hezbollah. « Les éléments sunnites ont coupé l’autoroute qui mène au Sud, ce qui est clairement un message envoyé au Hezbollah, puisque Nasrallah a toujours insisté sur l’importance de garder cet axe routier ouvert pour relier Beyrouth à son fief du Sud », explique M. Slim. Selon lui, ces incidents pourraient se multiplier. Alors que M. Al-Assad reprend l’avantage en Syrie grâce aux interventions russe et iranienne, Riyad dénonce la « mainmise du Hezbollah sur l’Etat [libanais] ».

Parmi les raisons de la dĂ©cision saoudienne, il y a le refus du Liban, dĂ©but janvier, de condamner la politique de l’Iran dans la rĂ©gion et de qualifier le Hezbollah d’« organisation terroriste ». Après avoir expulsĂ© des hommes d’affaires libanais et enjoint Ă  leurs ressortissants de ne pas se rendre au pays du Cèdre, le royaume wahhabite et les cinq autres monarchies du Golfe ont finalement votĂ© le 2 mars une rĂ©solution pour faire pression sur le parti chiite, qui participe au gouvernement et domine la vie politique libanaise — comme en tĂ©moigne son rĂ´le dans le blocage, depuis mai 2014, de l’élection d’un nouveau prĂ©sident de la RĂ©publique par le Parlement (lire « Un futur prĂ©sident sous contrĂ´le »). Si le conflit syrien a renforcĂ© la position du Hezbollah au Liban, il a aussi exacerbĂ© les tensions communautaires. Une partie des sunnites, majoritairement solidaires de l’opposition syrienne, ont radicalisĂ© leur discours. L’absence de leadership sunnite fort et l’instrumentalisation de cette radicalisation par certains politiciens n’ont fait qu’envenimer la situation. « Dans ce contexte, la position du Hezbollah en Syrie est extrĂŞmement problĂ©matique, prĂ©vient M. Slim. Ce raidissement risque d’être d’autant plus dangereux avec la prĂ©sence au Liban d’un million et demi de rĂ©fugiĂ©s syriens majoritairement hostiles au Hezbollah. » S’y ajoutent les dernières sanctions prises en dĂ©cembre par le Congrès amĂ©ricain, qui font dĂ©sormais du Hezbollah une organisation non seulement terroriste mais aussi criminelle. Cette dĂ©cision oblige les banques libanaises Ă  refuser les clients liĂ©s au parti. Un Ă©lĂ©ment supplĂ©mentaire, selon M. Slim, pour que la situation se dĂ©grade. « Il est difficile de savoir si, Ă  long terme, ces pressions affaibliront le Hezbollah ; mais, dans l’immĂ©diat, cela va certainement rendre les haines plus fĂ©roces. »